C'était en 1982, un magasin de hifi pas comme les autres tentait une ouverture. L'ambition d'écouter de la musique à travers une chaîne hifi, comme on disait à l'époque. Proposer des marques d'ici et d'ailleurs quand la suprématie niponne faisait rage dans le domaine. Un vrai cinglé.

Après un parcours chaotique en courant après des études que je ne pus évidemment jamais rattraper. Traumatisé par une sévère éducation musicale, où seuls Schubert et Brahms étaient admis. j'ai réussi à fuir. Je me réfugiais chez un disquaire où j'écoutais clandestinement les groupes rock de la nouvelle génération; arrêté pour faits réactionnaires et propagande illicite de la musique anglo-saxonne, jugé et condamné par l'aréopage défenseur de la musique susdite, à être emprisonné dans un théâtre où seul Wagner était autorisé à être joué. La pire des punitions. Ce qui me vaut encore aujourd'hui de fortes doses médicamenteuses pour pouvoir supporter d'autres compositeurs. Libéré sur parole au bout de quelques années, je ne trouve rien de mieux à faire que d'ouvrir ce magasin, m'étant désormais impossible de vivre sans musique, sans doute à cause des sévices musicaux dont j'ai été la victime.

Le temps passant à une vitesse phénoménale, j'ai perverti avec mes idées de matériel et de musique (de tous genres, cette fois-ci) des centaines d'autres personnes,(appelé clients par le Larousse médical) toutes atteintes aujourd'hui d'une maladie incurable, baptisée la "hifimania."

Il n'existe à ce jour aucun traitement, cette maladie vous condamne à rester des heures à écouter la dite chaîne dans un fauteuil au milieu de votre salon, au désespoir de vos proches .

Ce qui est une catastrophe pour la santé mentale, comme chacun sait.

L'heure de la retraite s'approchant, où plutôt celle de la surdité et du ramollissement du cerveau dudit propriétaire, je rencontrais fort opportunément mon futur remplaçant, Cyril, lui aussi traumatisé dans sa petite enfance, obligé par un père sadique à écouter pendant des heures, attaché à une chaise, de la musique classique.

Après une enfance difficile, il put enfin découvrir à l'adolescence qu'il existait d'autres genres de musiques que celle qui n'avait d'ailleurs rien de classique. Hélas après une vie bien remplie, la maladie se déclara aussi chez lui. Ayant consulté les plus grands spécialistes mondiaux, on lui annonça qu'il était condamné. La seule alternative pour lui était de reprendre un magasin et de transmettre cette maladie au plus grand nombre, ce qui permettrait peut être de trouver un vaccin.

Et voilà nos deux compères, lui et moi même, qui s'entendent comme deux larrons en foire, l'un va aller voir ailleurs si j'y suis, et l'autre de reprendre cette merveilleuse boutique.

Il ne reste plus pour moi qu'à lui souhaiter bonne chance, et à finir mes jours dans un sanatorium où on inocule du Wagner par intraveineuse, ce qui est une aubaine n'ayant jamais réussi à me guérir de ce compositeur. Monsieur CAILLAT pourra donc dès maintenant vous prodiguer ses conseils, vous inoculer aussi son amour du beau son, avant qu'il ne devienne fou lui-même, bien sûr.

Bonne chance encore une fois, et que la vie vous soit douce et pleine du succès que vous méritez mon cher confrère.

Daniel LEMANISSIER.